"L'abbé Pierre est mort, maintenant parlons de moi"

Hier soir, comme chaque soir, Mon Maître est rentré très tard. Mais hier soir, je l'ai entendu pester, fulminer, s'emporter une bonne partie de la soirée à propos d'un type dont je n'avais jamais entendu parler, un abbé, l'abbé...ben...l'abbé...je-sais-plus-trop-comment (l'abbé Paul ? l'abbé Jacques ? l'abbé Jean ? l'abbé Production ?), peu importe,  en tout cas Mon Maître ne le porte pas dans son coeur celui-là, vraiment pas... Voilà ce qu'il a dit à Cécilia Mon petit Maître à moi :

Non mais il pouvait pas crever à un autre moment l'autre là, l'abbé machin. Putain mais c'est pas vrai ça, je suis en pleine bourre moi en ce moment et ce vieillard incontinent en robe et gros godillots vient me piquer toutes les unes de journaux, tous les articles, tous les commentaires, toutes les radios, toutes les télés. Je pensais pas me faire voler la vedette par un mort moi. Et ça fait deux jours que ça dure ce cirque. Non mais ça va durer combien de temps encore tout ce tralala autour de ce vieux barbu tremblotant ? J'ai du boulot moi, j'ai une élection présidentielle au printemps moi, je ne vous l'apprends pas quand même ? Bon alors stop. Ca suffit maintenant. On a compris  l'abbé truc est mort (ça fait jamais qu'un électeur de moins, y'en a d'autres), maintenant parlons de moi. Lui, il avait 94 ans, il est mort. Moi, j'ai 50 ans, je suis vivant. Séchez vos larmes de crocodiles (ouaf ouaf), il est mort, il est mort, c'est comme ça... on naît jeune, on meurt vieux, c'est dans l'ordre des choses comme le soleil qui se lève le matin et se couche le soir... L'AB est DCD mais rassurez-vous, moi je suis vivant, bien vivant. Et puis, juste une chose : il avait envie de mourir depuis toujours l'abbé Pierre alors... (entre nous ça m'aurait arrangé qu'il meurt plus tôt mais bon...). Moi j'ai une formidable envie de vivre depuis toujours alors oublions les morts et intéressons-nous aux vivants. Intéressons-nous aux candidats à l'élection présidentielle. Intéressons-nous à l'UMP. Enfin voilà quoi, intéressons-nous à moi merde.

On a quand même pas attendu la mort de l'abbé Pierre pour apprendre qu'une vie humaine n'est pas éternelle. Je dis ça parce que tout le monde a l'air de découvrir la mort avec la mort de l'abbé Pierre mais, vous savez, plein de gens sont morts avant lui (Machiavel, Louis XIV, Napoléon, Maurras, Jaurès, Barrès, Mussolini, Camus, Blum, Poujade, Chaban-Delmas, Barre, Giscard d'Estaing). Et je peux même vous dire un truc, vous allez trouver ça incroyable... plein de gens vont mourir après lui (y compris tout le monde). Certains lui emboîteront le pas (Jean-François Deniau, Fidel Castro, Les trois poilus survivants, Jeanne Excitant, Jean-Marie Le Pen, Jacques Chirac, Jean-Paul II, Ségolène Royal, Jean d'Ormesson) d'autres auront tout le temps de savourer paisiblement une longue et douce vie à l'Elysée (Moi, Moi, mon fils Louis, Moi, Moi, Moi, Cécilia, mon fils Louis, Moi, Moi, Moi, chienchien, Moi). Avouez que c'est quand même sacrément mal foutu la vie : moi je fais des pieds et des mains pour qu'on parle de moi et lui, il n'a qu'à mourir et hop, ça y est, tout le monde s'extasie, s'émeut, verse sa petite larmounette. J'ai moi aussi bien été obligé d'y aller de mon petit couplet larmoyant, j'ai dit : "avec la disparition de l'abbé Pierre, le coeur de la France est en berne" mais au fond de moi je pensais : "qu'ils crèvent tous les démunis, les sans-abris, les pauvres ; malgré les demandes insistantes et répétées du vieux (il était bien gentil mais il devenait un peu lourd à la fin), je n'ai jamais rien fait pour qu'il y ait plus de 3% de logements sociaux à Neuilly, jamais et j'en suis très fier". Le coeur de la France est peut-être en berne mais dans quelques mois, la France aura un nouveau coeur, ce sera moi. Et moi je serai un coeur en pleine forme, un coeur sportif de haut niveau (marathon, course à pied, cyclisme, natation...), un joli coeur. Remarquez à la fin, l'abbé Pierre il faisait aussi des marathons, mais seulement entre son fauteuil et son lit. De toute façon, la France en avait marre de ce vieux coeur poussif en fauteuil roulant, de ce coeur usé, fatigué, à bout de souffle. La France en avait marre de ce mauvais coeur, il a cessé de battre, c'est mieux pour tout le monde. Moi je continue de me battre. Et vous, vous êtes mes petits coeurs, mes petits coeurs  de cibles alors en avril, vous allez voter pour un coeur neuf, vous allez voter pour moi, vous verrez, j'ai bon coeur.

Qu'est-ce qui explique tout ce tapage médiatique ? Qu'est-ce qu'il a fait l'abbé Pierre ? Un média-planning béton ? Un plan com nickel ? Non, il est juste mort. La belle affaire, mourir c'est à la portée de tout le monde, tenez, la semaine dernière, c'est même arrivé à Mme Ramirez, notre femme de ménage portugaise, crise cardiaque, bon débarras, elle perdait ses poils et elle oubliait toujours de la poussière (des moutons) sous le lit, ça faisait éternuer notre gentil petit chien asthmatique, hein, c'est pas vrai chienchien ? Ouaf Ouaf Ouaf Maître. C'est fou à quel point les morts sont populaires. L'abbé Pierre est encore plus populaire mort que vivant. Si les médias diffusaient un erratum du genre : "chers téléspectateurs, veuillez nous excuser, l'abbé Pierre n'est pas mort, en fait la personne décédée lundi matin était Germain Putalier, son sosie officiel", si on nous disait ça, après l'émotion qu'a suscité l'annonce de sa mort, l'abbé Pierre aurait tort de ne pas se présenter à l'élection présidentielle : il serait élu au premier tour.  Qu'est-ce que je peux faire moi face à la popularité d'un mort ? C'est de la concurrence déloyale. Comment je peux lutter moi ? Je ne vais quand même pas mourir ? Ah mais si attendez, j'ai une idée : je fais annoncer ma mort, mais attention pas n'importe quelle mort, une mort mythique, une mort qui parle à l'inconscient collectif des français : électrocuté dans mon bain à la cloclo, par défenestration à la Mike Brant, dans mon vomis à la Jim Morrison ou en moto à  la Coluche. Et quelques jours après cette annonce, je reviens, je surfe sur ma nouvelle popularité et au printemps, je m'installe à l'Elysée... Autre idée pour être aussi populaire que l'abbé Pierre : je fais abbé Pierre, tout simplement. Ben ouais, maintenant c'est un emploi à pourvoir abbé Pierre et c'est pas un boulot dur du tout, il suffit d'avoir un béret, une canne, une fausse barbe blanche, des grosses lunettes, une vieille blouse bleue élimée et une élocution laborieuse pour tenir des propos angéliques et culpabilisateurs ("vous ne pouvez pas laisser ces gens mourir de froid en restant au chaud", etc.), le tout, bien sûr, avec des larmes au coin des yeux. Et voilà, le tour est joué, avec ça je deviens pour cinquante ans la personnalité préférée des français... Il était pas con le vieux, très chiant mais pas con du tout.

A propos, vous savez de quoi il est mort l'abbé Pierre au juste ? Parce que moi je sais de quoi il est mort, il est mort de chagrin. Il a consacré toutes sa vie aux pauvres, les pauvres, ils les aimaient, c'étaient devenus ses pauvres à lui et là, ces dernières semaines, une bande de jeunes (les enfants de Don Quichotte) lui a volé ses pauvres et, pire que tout, a réussi en quelques jours là où lui il avait mis une vie entière à échouer lamentablement. Le pauvre abbé, il s'est dit : t'as beau être une des personnalités préférées des français, t'es un gros loser. Cette prise de conscience l'a fait mourir ("les enfants de Don Quichotte m'ont tuer"). Il faut surtout pas que j'oublie que les français aiment bien les losers, c'est mauvais pour moi ça... Mais moi, je vais me contenter d'être moi-même, un winner, un Président.

L'abbé Pierre est mort, vive moi.

Ouaf Ouaf et vive moi aussi ouaf ouaf

Comments

[sarkochienchien]

@ bernard chirac

pas difficile, pas difficile, c'est facile à dire ça, lui, il faisait partie de ces gens dont on ne sait pas très bien s'ils sont morts ou pas (comme Sim)

@ clémentine

je lui dirai mais je pense qu'il va s'en branler

[clementine]

tu diras à ton maître, que l'abbé Pierre a certainement droit à un beau logement au paradis maintenant et que lui n'y aura pas forcément droit s'il ne milite pas pour le logement et surtout s'il ne fait pas créer des logements pour les défavorisés ou les gens qui ne peuvent pas se payer un logement dans le secteur privé !
ah mais !
clem

[Bernard chirac]

bravo pour jen francois deniau, chapeau
mais bon, pas difficile