Maître, j'ai raté le yacht

10 mai 2007

Mon Maître a gagné. Moi qui n'ai jamais douté de sa victoire, je trouve ça parfaitement normal. Je note d'ailleurs que, dimanche soir, ses adversaires avaient, eux aussi, l'air de trouver ça normal. Mieux : ils faisaient la fête et ils avaient presque l'air contents pour Mon Maître. Ils ne se sont même pas donnés la peine de faire semblant d'être tristes : il faut dire que, pendant toute la campagne, ils se sont bien préparés à l'échec. Gagner, pour eux, ça aurait été un accident. On ne remercie jamais assez celui qui nous fait éviter un sale carambolage. Y'a rien à dire : Mon Maître, c'est le meilleur, il a gagné, un point c'est tout. Après tout si les socialistes l'ont compris, tout le monde peut le comprendre. Je suis bien sûr fou de joie pour Mon Maître et pour moi-même. Car comme lui, je rêve de l'Elysée depuis toutoujours. Pour tout dire, je suis fou de joie mais je suis aussi très déprimé. Voilà pourquoi : Mon Maître a réalisé une campagne sans fautes mais une fois la victoire acquise, il a accumulé les grosses bourdes. C'est à croire que la victoire l'a royalisé. Alors que j'ai toujours été là, alors que je le soutiens depuis tant et tant de mois avec une fidélité dont seuls les chiens sont capables (Cécilia ne me démentira pas), Mon Maître, lui, il devient Président et hop, pour me remercier, il m'oublie, il me laisse à la maison. Si ça s'arrêtait là, ce serait encore supportable, beaucoup de chiens passent leur vie entière à attendre leurs maîtres à la maison, c'est le destin de tout chien moyen. Mais moi je dois être le seul chien officiel (et pure race) du monde à être condamné à voir à la télé Mon Maître devenu Président mener la grande la vie : dîner au Fouquet's avec un parterre de vedettes, nuit au Fouquet's avec... euh... un parterre de vedettes, voyage à Malte en jet privé sans voir par terre, croisière sur un yacht de 60 mètres avec un parterre de garde du corps. Et moi dans tout ça ? Il m'oublie ! Alors qu'il sait que j'adore le luxe, que je rêve de yacht de 60 mètres et de voir Mireille Mathieu en vrai, il m'oublie ! Il est parti pour se préparer à habiter la fonction, c'est-à-dire en fait pour se préparer à habiter à l'Elysée. Mais moi aussi après toutou je vais devoir y habiter à l'Elysée, moi aussi je dois me préparer à habiter ma nouvelle niche. C'est vraiment rageant tout ça, Mon Maître est enfin Président de la République française et moi, depuis trois jours, je passe mes journées avec mon bol de croquettes et notre femme de ménage portugaise qui n'arrête pas de dire : "formidable, formidable Monchieuch il est Présidench, Monchieuch il est Présidench mais Mon Dieuch, j'y pensch, y'a un problémech, à l'Elyséch je vaich avoir beaucoup travail, surtouch pour faire toute la poussièrch". Non, non, ne t'affole pas Suza, y'a pas de problème, si Mon Maître applique son programme, tu vas renter chez toi, lui, il veut que les étrangers veuillent travailler plus et sachent parler français alors toi, tu retourneras dépoussiérer tes morues à Lisbonnch. Pardon, la colère, la frustration, tout ça, ça me rend plus chien que je ne le suis (ouaf ouaf). Parfois j'en viens même à rêver que Mon Maître m'abandonne et que je me fais adopter par un gagnant à l'euro-millions. Enfin en principe, il rentre ce soir. Je sais déjà que je n'aurai pas la force de lui en vouloir, comment en vouloir à son maître ? Un maître c'est comme la France, on l'aime ou on le quitte. Et le mien, je n'ai jamais eu envie de le quitter, ça ne risque pas d'arriver maintenant ~~qu'il a gagné au loto,~~ qu'il a été élu Président. Vivement son intronisation.